Quels liens entretiennent le cinquième et le septième arts ? Entretien avec la scénariste Deborah Hadjadj
Chaque année en France, environ 20% des films qui sortent en salle sont des adaptations de romans, pièces de théâtre, livres jeunesse… En mars 2022, trois films sont adaptés de roman ! Kube vous les présente, et en profite pour discuter des liens entre littérature et cinéma avec la scénariste Deborah Hadjadj.
Nous vous en parlions déjà à l’occasion des César, de nombreux films à succès sont adaptés d'œuvres littéraires. Avec le temps, certains films écartent même parfois les livres dont ils sont tirés ! Saviez-vous que Forrest Gump, Shutter Island ou encore Le Parrain étaient des adaptations ?
En mars 2022, trois livres portés à l’écran sont à retrouver en salle !
Un fils du Sud
Le 16 mars, nous vous invitons à découvrir Un fils du Sud, adapté du roman autobiographique de Bob Zellner The Wrong Side of Murder Creek : A White Southerner in the Freedom Movement.
Il y raconte son histoire : celle d’un petit-fils d’un membre du Ku Klux Klan, mais qui est davantage influencé par la pensée de Martin Luther King et de Rosa Parks. Il décide de rejoindre le mouvement des Civils Rights, qui lutte pour l’égalité des droits et la fin de la ségrégation. Cet engagement constitue un pied de nez à sa famille sudiste, les États du Sud étant historiquement plus conservateurs sur ces sujets à cette époque.
La première adaptation de ce biopic est produite par Spike Lee, et est incarnée par Lucas Till, Lucy Hale ou encore Julia Ormond.
Le Temps des Secrets
Les romans de Marcel Pagnol ont fait l’objet de nombreuses adaptations, notamment ses ouvrages autobiographiques : La gloire de mon père, Le château de ma mère, et Le temps des secrets. Ce dernier a déjà été adapté par Thierry Chabert en 2006, et évoque les dernières vacances du petit Marcel en 1905, avant sa rentrée au lycée.
Christophe Barratier porte à l’écran le retour de Pagnol chez lui pour les vacances, dans les grands espaces et auprès de ses amis, toujours prêts à partager de nouvelles aventures. Le film est notamment porté par Guillaume de Tonquédec et François-Xavier Demaison. Vous pourrez découvrir ce temps où l’insouciance laisse place aux secrets en salle, le 23 mars 2022.
Cyrano
Le 30 mars, vous pourrez découvrir une nouvelle adaptation de la pièce d’Edmond Rostand Cyrano de Bergerac. Le Cyrano de Joe Wright compte dans son casting Peter Dinklage, qui s’est illustré dans le rôle Tyrion Lannister dans la série Game of Thrones (d’ailleurs adaptée des livres à succès de George R. R. Martin).
Comme dans la pièce, Cyrano est admiré pour son éloquence, sa répartie et son maniement de l’épée. Il est pourtant convaincu que son apparence physique le rend indigne de l’amour de Roxane, dont il est follement amoureux. Celle-ci est d’ailleurs déjà amoureuse de Christian…
Cette adaptation fait suite à de nombreux films ayant fait vivre Cyrano au cinéma. On se souvient par exemple du film de 1990 mettant en scène Gérard Depardieu dans le rôle principal, ou de l'adaptation plus libre Edmond d’Alexis Michalik en 2018. Ici, la laideur de Cyrano est transformée en petite taille.
Que faut-il penser des adaptations ?
Les lecteurs sont souvent très partagés sur les adaptations : sont-elles vraiment les bienvenues ? Pour en discuter, Kube a interrogé la scénariste Deborah Hadjadj, qui a déjà travaillé sur de nombreuses adaptations cinématographiques.
Kube : Comment expliquer qu’un cinquième environ des films qui sortent en France soient des adaptations ? Les raisons financières sont-elles prépondérantes ?
D.H. : Une adaptation rassure à la fois les investisseurs et le public, qui veut voir une fiction qui lui parle, où il sait déjà qu’il y a quelque chose de très fort. Sur le papier, cela représente aussi moins de temps et d’argent investis dans l’écriture, puisque, même dans une adaptation libre, il y a déjà un cadre, des personnages, des idées qui fonctionnent.
Cela s’explique aussi parce que des œuvres littéraires sont tout simplement des chefs-d'œuvre, qu’il est nécessaire de faire exister autrement, à partir du moment où il y a une valeur ajoutée à faire exister une œuvre littéraire dans une œuvre cinématographique.
Kube : Comment les livres adaptés sont-ils choisis ? Est-ce toujours une bonne idée ?
D.H. : L’adaptation fonctionne beaucoup par instinct. Il faut lire beaucoup de choses, et c’est en lisant qu’on peut se projeter, réaliser que certaines choses fonctionnent dans le roman et mériteraient d'être transposées à l’écran. Ce qui est assez paradoxal, c’est que de très bons romans ne donnent parfois pas de bonnes adaptations, par exemple parce que ce sont des romans d’introspection, où nous sommes dans la tête du personnage ; et a contrario des romans qui ne sont pas très aboutis, pas forcément très biens écrits mais qui ont une histoire puissante, un concept fort et vendeur vont donner lieu à de très bonnes adaptations. Il n’y a vraiment pas de règles.
Mon sentiment est qu’en ce moment, ce sont surtout des adaptations de polar et de thriller qui fonctionnent en France. Certains genres comme le fantastique et la science-fiction ne fonctionnent pas forcément en salles. Il n’y a parfois pas suffisamment de personnes au rendez-vous, et ce sont des adaptations très coûteuses.
Ce qui fonctionne également très bien, ce sont des drames, des histoires inspirées de faits réels. Les combats de femmes par exemple. Ça parle aux gens, ça les rassure, on peut s’y identifier.
Kube : Quels sont les principaux défis à relever propres à l’écriture d’un scénario adapté d’un livre, par rapport à un scénario original ?
D.H. : Ce qui est difficile c’est, quand le récit a trouvé son public, de ne pas le décevoir, de ne pas souffrir de la comparaison. C’est aussi de proposer autre chose : ça ne sert à rien d’adapter un roman page par page, d’être très fidèle, si on ne propose rien de nouveau. Le but d’adapter quelque chose c’est de donner un nouveau souffle, de toucher un nouveau public, de donner un nouvel angle, de proposer autre chose, de sublimer certains aspects présents dans le roman d’origine grâce à l’image, le visuel, l’incarnation. C’est très difficile de tenir ces promesses.
Paradoxalement, c’est parfois plus de travail d’adapter un livre que de créer un scénario original : il y a un travail de tri, d’affranchissement par rapport à l'œuvre. C’est parfois vraiment plus un défi en tant qu’auteur d’adapter quelque chose d’existant, parce qu’on a peur de trahir, de passer à côté, de faire un contresens. Avec sa propre histoire, son scénario original, on sait vraiment ce qu’on a envie de faire, où on va.
Ça dépend aussi du marché : adapter une œuvre étrangère pour la France suppose beaucoup d’ajustements, ce qui n’est pas le cas pour une œuvre déjà ancrée dans un contexte socio-économique français. Il n’y a pas qu’une réponse, et pas une façon de faire meilleure que l’autre.
Kube : Les adaptations représentent-elles un danger, une frustration pour les scénaristes ?
D.H. : Tout dépend aussi des interlocuteurs, si on partage la même vision, et si l’œuvre est facilement adaptable. C’est déjà arrivé que des auteurs et des scénaristes tentent d’adapter des romans sans jamais y parvenir. Des romans sont connus dans le milieu comme inadaptables. Ça a longtemps été le cas par exemple de L’Étrange Histoire de Benjamin Button, qui a été dans les développements de beaucoup de studios américains pendant des dizaines d’années. Finalement, Fincher y est parvenu. C’est le cas aussi de Nocturnal Animals qui a été adapté par Tom Ford il y a peu. Certains projets étaient pendant longtemps considérés comme des pièges qui peuvent frustrer les scénaristes, parce que c’était très compliqué de les faire exister à l’écran, pour diverses raisons. Les effets spéciaux, le point de vue des personnages…
Kube : Faut-il laisser une place au présent et aux débats contemporains dans les adaptations de romans classiques ?
D.H. : Je suis pour toujours trouver une résonance avec l’époque contemporaine. Certaines œuvres sont intemporelles, comme Balzac ou Hugo. Mais pour justifier une adaptation, surtout quand l’œuvre a déjà été adaptée maintes fois, je trouve qu’il faut justifier un angle assez contemporain, moderne, qu’on puisse trouver une résonance, nous le public, avec ce qu’on va voir à l’écran. C’est en ça que certaines œuvres intemporelles, certains classiques de la littérature française ou autre ont toujours le vent en poupe : une vraie modernité peut résonner avec l’époque. C’est en tout cas ce que je m’évertue à faire quand j’adapte un roman qui date, dont l’écriture était ancrée dans un contexte. Pour donner un exemple récent, l’adaptation que je trouve très réussie de Germinal pour la télévision française était intéressante car elle avait une vraie résonance avec la vindicte populaire, les questions socio-économiques actuelles, certains mouvements contestataires. C’était sa réussite : être fidèle à l'œuvre de Zola, qualitative, et en même temps trouver une résonance dans l’époque actuelle. Même si aujourd’hui la condition des mineurs n’est pas celle des mineurs de Zola, on pouvait en tirer des parallèles avec d’autres classes opprimées actuellement, d’autres métiers très difficiles, avec la lutte des classes comme on a pu le voir avec les Gilets Jaunes. Je trouve que c’est nécessaire, je ne comprends pas le débat et la critique adressée au film Les Illusions Perdues que je trouve très abouti. Il a su ne pas trahir l'œuvre tout en lui trouvant une vraie légitimité et pertinence dans l’époque dans laquelle on vit.
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